Les biais cognitifs ou tout ce qui fait dérailler les esprits en période électorale

Le cerveau humain n’a pas été conçu pour réfléchir, explique Thomas Durand, docteur en physiologie végétale, dans son livre L’ironie de l’évolution[1]. À l’époque de nos lointains ancêtres, celui qui soudainement se retrouva devant un lion et commença alors à sous-peser toutes les hypothèses de sortie de pétrin… n’eut jamais la chance de se reproduire. Nous sommes plutôt les descendants de son voisin, celui qui confia son avenir à ses réflexes et à ses mollets plutôt qu’à son cerveau…

Dans le même sens, Jacques Généreux[2], docteur en économie, ajoute que « l’intelligence rationnelle n’est qu’un potentiel de l’esprit humain, ce n’est pas un réflexe.  En revanche, nous avons bien un mode de pensée réflexe qui, lui, n’a absolument pas été conçu pour la recherche rigoureuse de la vérité ». Les grands spécialistes de la publicité, de l’image et de la communication l’ont bien compris et en font leur pain et leur beurre. Ainsi une entreprise d’eau embouteillée pourrait surpasser ses concurrents en ajoutant sur ses étiquettes la mention « sans cholestérol ni gluten, 0 calorie ».

Pour le politicien, comme pour n’importe quel vendeur, le choix des mots est de la plus haute importance. Dans son Petit cours d’autodéfense intellectuelle[3], Normand Baillargeon nous en donne maints exemples. Ainsi, celui qui proposera de privatiser Hydro-Québec ou la SAQ, utilisera le mot monopole plutôt que services publics, ce premier terme étant généralement associé à profiteur, exploiteur voire corruption. Dans les faits, année après année, on constate que la SAQ, Hydro-Québec et Loto-Québec versent, ensemble, davantage au trésor public que toutes les entreprises privées réunies ! La facture d’électricité des Québécois est l’une des plus basses au monde ! Et la SAQ offre l’une des plus vastes sélections de vins et des spiritueux au Canada, à des prix généralement comparables à la moyenne canadienne, tout en offrant à ses employés d’excellentes conditions de travail !

De même, le mot privé est associé à efficacité et à dynamisme et le mot public, à lourdeur et à gaspillage. Pourtant, ce mot privé pourrait aussi évoquer évasion fiscale, malversation, culture du secret, élimination de la concurrence, collusion, cartel, contrefaçon, falsification des faits, publicité trompeuse… À combien de scandales l’industrie pharmaceutique ou la pratique privée de la  médecine ont-elles été mêlées au cours des dernières années ?

« Quand un orateur sûr de lui et séduisant bondit sur scène, vous pouvez être sûr que son auditoire jugera ses déclarations plus favorablement qu’il ne le mérite »,[4] écrit le Prix Nobel Daniel Kahneman, psychologue et économiste. Ainsi, un parti politique ayant à sa tête un excellent comédien aura plus de chance de l’emporter le jour du scrutin.

Un bon animateur de télé-réalité, surtout s’il a du toupet, pourrait se retrouver à la présidence de la plus grande « démocratie » de la planète en criant « Make America Great Again ». Même si pour ce faire, il entend déréglementer les normes environnementales et les normes du travail jusqu’à ce que ses électeurs soient contraints d’accepter celles qui prévalent au sud de sa frontière.

On imagine facilement qu’un habile professeur d’art dramatique, dont la rose à la boutonnière que portait son père remplissait les urnes, pourrait promettre un mode de scrutin proportionnel et au lendemain de l’élection, renvoyer le tout aux calendes grecques.

Il pourrait s’afficher grand défenseur de la cause climatique sur la scène internationale et le lendemain, au Texas, être adoubé par l’industrie pétrolière. Et acheter, au nom de son gouvernement, un pipeline transportant vers le Pacifique le pétrole le plus sale au monde en affirmant qu’accepter de polluer la planète au maximum nous permettrait d’accumuler suffisamment d’argent pour nous assurer demain un environnement sain. De selfie en selfie, il pourrait éventuellement brader ce pipeline à des entreprises dirigées par des ex-politiciens toujours aux aguets de « vraies affaires ». Il n’aura qu’à dire que ce n’est pas le rôle d’un État de gérer des entreprises.

Ailleurs, on pourrait jouer sur l’effet de halo d’un médecin, acteur politique, qui prétendrait vouloir sauver son système de santé public en faisant ministre de la Santé un autre médecin dont la fonction aurait été de tirer le maximum de l’État au bénéfice des membres de sa confrérie.

Lentement, discrètement, ce dernier pourrait remplacer les CLSC par des Groupes de médecine familiale (GMF), des entreprises privées dirigées par des médecins entrepreneurs, éventuellement les mieux payés au Canada. Le temps d’attente à l’urgence ou pour avoir accès à un médecin de famille continuant de s’allonger, le système de santé public en sortirait encore moins attrayant.

Ce même médecin pourrait nous promettre d’assainir les finances publiques et l’aura entourant sa profession d’origine aiderait à nous y faire croire. On pourrait se retrouver quelques mois plus tard dans un État poursuivi pour maltraitance par les bénéficiaires de CHSLD, avec des écoles dans un état de délabrement inouï, un taux de dépression record chez les enseignants et les infirmières, ou avec des puits d’hydrocarbures introuvables, mais classés « conformes » par des inspecteurs gouvernementaux…

Ici, ce pourrait être un homme d’affaires qui n’aurait pas oublié avoir fait fortune à la tête d’une compagnie aérienne privatisée.

Il pourrait s’adjoindre un ex-directeur de recherche d’un institut économique bien connu qui aurait prôné l’abolition du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), se serait opposé à la taxe sur le carbone, à la gratuité des centres de la petite enfance, se serait dit en faveur de l’exploitation pétrolière sous toutes ses formes au Québec, de la privatisation en santé, d’Hydro-Québec et de la SAQ. Il pourrait même avoir déjà affirmé « je ne crois pas au mythe d’un État au service du bien commun ».

On pourrait retrouver à la présidence de ce parti un autre homme d’affaires président d’une entreprise de prêts usuraires, mais ayant pignon sur rue que dans des contrées où de telles pratiques seraient légales.

Ils n’auraient qu’à promettre des baisses d’impôts et la fin du gaspillage des fonds publics, l’effet de halo entourant le sens des affaires de ces trois grands hommes pourrait faire en sorte que les électeurs n’y verraient que du feu. Il ne leur viendrait même pas à l’esprit qu’en refusant de s’attaquer à l’évasion fiscale, en continuant à diminuer, budget après budget, les impôts des entreprises et maintenant ceux des citoyens, en promettant de supprimer des milliers de postes dans la fonction publique, ce gouvernement ayant le sens des vraies affaires serait obligé de couper encore davantage dans des services publics déjà fort mal-en-point : santé, éducation.

Mais alors ? 

À long terme

Si réflexes et automatismes ont autrefois assuré la survie de l’humanité, ils risquent aujourd’hui de lui être fatals. Selon Bernard Émond : « le Québec […]a besoin de gens qui décident courageusement de s’extraire de la cacophonie du monde contemporain, d’affronter la solitude, et de s’astreindre à la réflexion en ouvrant un livre… »[5].

« Si nous avions un vrai système d’éducation, on y donnerait des cours d’autodéfense intellectuelle », affirme Noam Chomsky[6].

À court terme

Trop souvent nous nous sommes fait jeter de la poudre aux yeux par de beaux programmes, de belles promesses et de beaux discours.

Portons plutôt notre attention sur le passé de ceux et celles dont nos leaders ont décidé de s’entourer : dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es !

« S’informer fatigue, et c’est à ce prix que le citoyen acquiert le droit de participer intelligemment à la vie démocratique »,[7] écrivait l’ex-directeur du journal Le Monde diplomatique, Ignatio Ramonet.


[1]          C. DURAND, Thomas, L’Ironie de l’évolution, Seuil, 2018, p. 81 – BANQ

[2]          GÉNÉREUX, Jacques, La déconnomie, Seuil, 2016, p. 361

[3]          BAILLARGEON, Normand, Petit cours d’autodéfense intellectuelle, Lux, 2005

[4]          KAHNEMAN, Daniel, Système 1, Système 2. Les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2012, p. 9 – BANQ

[5]          ÉMOND, Émond, Camarade, ferme ton poste, et autres textes, Lux, 2017,  – BANQ

[6]          Cité par Normand Baillargeon en introduction de son livre Petit cours d’autodéfense intellectuelle, Lux, 2005

[7]          RAMONET, Ignacio, S’informer fatigue, Le Monde diplomatique

Par : Jean-Yves Proulx, Comité national de l’action sociopolitique

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