On entend souvent dire que l’on juge une société à la manière dont elle traite ses aînés. Que penser, dans ce cas, des témoignages qui ressortent de l’enquête publique de la coroner Géhane Kamel sur le CHSLD Herron : des aînés souillés, affamés et déshydratés, des dépouilles abandonnées dans leur chambre durant de longues heures sans respect ou dignité, allongées dans du vomi, ébouriffées, sales.
Que comprendre d’une société qui permet impunément ce traitement à des personnes âgées en situation de vulnérabilité et que dire du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) qui a établi dans sa décision en août dernier qu’aucune accusation criminelle ne serait portée dans le dossier du CHSLD Herron, où une cinquantaine de décès sont survenus dans la première phase de la pandémie.
Et on apprenait encore cette semaine que les problèmes ne dataient pas seulement de la pandémie. Selon le témoignage de l’ex-directrice des soins de l’endroit, le CHSLD privé Herron éprouvait déjà d’importants problèmes de manque de personnel et d’équipement plusieurs mois avant la pandémie de COVID-19.
Je pose la question. Si un chenil avait fait les manchettes pour des histoires aussi sordides envers ses chiens, croyez-vous qu’il y aurait eu plus de conséquences? Pourquoi, quand il s’agit de personnes aînées, personne n’est jamais réellement imputable?
Des rapports tablettés
Aucune conséquence. Voici ce que réserve le Québec pour un traitement aussi inhumain envers celles et ceux qui ont bâti notre société. Un énième rapport qui sera fort probablement tabletté comme une vingtaine d’autres en 20 ans.
L’AREQ en a d’ailleurs fait l’exercice. Depuis l’an 2000, nous avons analysé 17 rapports tablettés par les différents gouvernements sur les conditions de vie aux aînés. On y retrouve 153 recommandations formulées. Combien de ces recommandations ont connu une suite? Seulement 10 % de celles-ci.
Malgré les histoires d’horreur, de l’incendie de L’Isle-Verte au CHSLD Herron, notre société n’a accordé que 10 % de son attention aux aînés en situation de vulnérabilité.
Pourtant, je ne me rappelle pas avoir vu, lu ou entendu des histoires aussi horrifiantes que celles témoignées durant l’enquête publique actuelle de la coroner Géhane Kamel. Même si ces personnes étaient en lourde perte d’autonomie, ce sont des humains, avec leurs histoires, leurs plaisirs, leurs souffrances, leurs proches, familles et amis.
Nous avons au Québec, depuis quelques années, une Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal plus rigoureuse que celle contre la maltraitance des aînés. Si la seule conséquence aux événements du CHSLD Herron est un autre rapport tabletté, alors notre société aura dévoilé son vrai visage. Une société qui ferme les yeux sur ses vieux jetés à l’abattoir avec des normes moins humaines que celles pour les animaux.
Je nous invite toutes et tous, population et élus, à agir enfin. Les réflexions ont été faites et refaites. Agissons maintenant, de manière non partisane, afin de mettre le cap sur la dignité avec un grand chantier des aînés.