Haïti en colère

Il y a dix ans déjà, le 12 janvier 2010, un tremblement de terre dévastateur et meurtrier a frappé Haïti, pays d’une très grande vulnérabilité dans ses constructions, ses infrastructures et son administration politique.

Depuis toutes ces années, le pays peine à se reconstruire. L’incurie du gouvernement face à la dégradation des indicateurs sociaux tels que le taux de pauvreté de 60 %, la dépendance aux importations, l’insécurité alimentaire, la dévaluation de la monnaie, l’inflation, le scandale du Petrocaribe et surtout la corruption du pouvoir, a plongé le pays dans une crise profonde.

C’est depuis plus d’un an que le pays est secoué par une vague de protestations contre le pouvoir corrompu. La Cour des comptes a révélé que des centaines de millions de dollars ont été détournés. Le peuple exige donc le départ du président Jovenel Moïse et de la classe gouvernante qui sont pourtant soutenus par les puissances internationales.

En ce début de janvier 2020 Jovenel Moïse est encore au pouvoir, mais il est affaibli. L’insécurité reste un problème majeur et la survie au quotidien est menacée par des bandes armées qui volent kidnappent et violent, dans la plus grande impunité.

Les écoles ont été fermées jusqu’en décembre et la population est restée détenue en otage de ces gangs qui tuent et s’entretuent pour le contrôle d’un territoire.

C’est dans ce contexte difficile que je suis partie en Haïti au début de septembre 2019 pour répondre à une demande de formation à Saint-Michel de l’Atalay en Artibonite. Il s’agit d’un projet de coopération volontaire afin de partager ressources et connaissances pédagogiques auprès de jeunes enseignantes et enseignants.

Dès mon arrivée, le manque de pétrole dans les stations-service est venu compliquer les déplacements. Il faut savoir que pour se rendre dans cette ville éloignée de la capitale, on doit traverser dix rivières à gué et que sans un plein d’essence, on risque de rester pris dans les mornes.

Cette pénurie d’essence fait suite au scandale du Petrocaribe : vol par le gouvernement haïtien du fonds de la coopération vénézuélienne initié par Hugo Chavez. Le Petrocaribe est une alliance entre Haïti et le Venezuela, premier exportateur de pétrole brut latino-américain, leur permettant d’acheter le pétrole à ce dernier à des conditions de paiement préférentielles.

La même situation s’est reproduite pour mon retour vers Port-au-Prince : pas d’essence dans la station-service de Saint-Michel. La débrouillardise et la connaissance de connaissances du camarade qui me ramenait ont permis d’obtenir finalement un bidon d’essence. Tout au long du trajet, j’ai vu des stations-service fermées ou envahies par des centaines de motos, d’autos, de vélos, de gens à pied en attente du précieux liquide.

En arrivant près de la capitale, des pneus brûlaient, un barrage était érigé et quelques personnes essayaient de rançonner les passagers dans les voitures.

Dès le lendemain de mon arrivée, les manifestations ont commencé et des milliers d’Haïtiennes et Haïtiens en colère sont descendus dans les rues de la capitale pour exiger le départ du président Jovenel Moïse. D’autres manifestations ont suivi dans la plupart des villes du pays.

Fermeture des écoles et des universités, difficulté pour les hôpitaux de fonctionner sans carburant pour alimenter les batteries, rues en feu, barricades, pertes en vies humaines, tueries perpétrées par des gangs armés de connivence avec le gouvernement. Les voix de la société civile se sont élevées pour dénoncer l’incurie et la corruption répandue dans toutes les instances gouvernementales.

Les revendications populaires sont énormes et exigent de mettre fin à ce système qui opprime tout un peuple.

Durant les jours qui ont suivi plus d’une semaine de grosses manifestations, je suis restée enfermée dans la maison en suivant, soit à la radio soit par l’appel de camarades, ce qui se passait au jour le jour. J’ai pu entendre les témoignages de différentes manifestantes et manifestants exigeant le droit au travail, le droit de manger à leur faim, le droit à la dignité. Beaucoup de ces témoignages allaient droit au cœur.

Durant plusieurs nuits, j’ai entendu les tirs dans les rues voisines. On parle présentement de plus d’une centaine de personnes tuées et 600 blessées.

Après un dimanche d’accalmie qui m’a permis d’acheter quelques provisions, les manifestations ont repris de plus belle et se sont déplacées vers l’aéroport qui a dû fermer son accès.

Le matin de mon départ pour Montréal, j’ai dû quitter très tôt, car déjà à six heures et quart, les pneus brûlaient sur la route de Canapé vert. J’ai dû attendre huit heures à l’aéroport avant mon vol avec des centaines et des centaines de personnes qui essayaient de se trouver une place sur un avion.

Au moment où j’ai écrit ce mot, le pays entrait dans sa 6e semaine de revendications.

C’est une lutte contre le système. C’est pourquoi on parle de rupture et de transition.

Y a-t-il de l’espoir pour cette sortie de crise?

J’aimerais citer le texte de Marc Maesschalck, professeur à l’UC Louvain et à l’Université Saint-Louis, spécialiste de la gouvernance démocratique.

« L’espoir, c’est d’arrêter le cercle vicieux de la dépendance et d’accepter de partir des capacités dont dispose la population haïtienne, de travailler au développement de leaderships locaux, à leur coordination et leur sécurisation dans l’espace commun nécessaire à leur réussite.

À cela il faut ajouter les mots de Pascale Solage de l’organisation féministe haïtienne Nèges Mawon

«Il faut un levier politique, avec un système de justice fort, des citoyens conscientisés et engagés. Il faut construire un autre État, une alternative, sur la base d’une nouvelle vision de la politique, d’une autre manière de faire de la politique. C’est pour cela qu’on parle de transition de rupture et de refondation. »

Pour mes camarades et amis haïtiens laissés là-bas, continuons à élever nos voix pour soutenir leurs revendications légitimes.

Par : Marie Marsolais, comité national de l'action sociopolitique

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